Fortunée Hamelin

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Fortunée Hamelin

Fortunée Hamelin, née Jeanne Geneviève Fortunée Lormier-Lagrave en 1776 sur l’île de Saint-Domingue et décédée à Paris en 1851, fut une personnalité marquante de son époque, c’est le moins que l’on puisse dire… Bien que moins célèbre que ses contemporaines telles que Madame Tallien ou Madame Récamier, Madame Hamelin, comme on aimait à l’appeler, n’en demeure pas moins une figure emblématique du Directoire. Amie de Joséphine de Beauharnais et douée d’une intelligence perçante, elle a exercé une influence notable (pour ne pas dire séduit) sur des personnalités de l’acabit de Bonaparte, Louis-Napoléon, Talleyrand, le duc de Choiseul, Chateaubriand et Victor Hugo. 

Madame Hamelin aura vécu de la Révolution française au début du Second Empire, reposant initialement au cimetière Montmartre, avant que son corps ne soit transféré au cimetière du Père-Lachaise, dans le caveau créé pour sa fille. Sa « légende » perdure à travers un portrait réalisé par Appiani, faisant d’elle une des figures les plus fascinantes et controversées de la France d’antan. Portrait !

Les jeunes années : mariage de raison et nouveau départ à Paris

La jeunesse de Fortunée Hamelin, née Lormier-Lagrave, fut marquée par la vie coloniale opulente de Saint-Domingue à la fin du XVIIIe siècle. Fille de notables et riches planteurs de canne à sucre, elle grandit dans un milieu privilégié à Maribaroux, sous l’influence d’un père procureur du roi et membre du Club Massiac. Cependant, des mystères planent autour de sa naissance, entre légitimité et bâtardise, dessinant les contours d’un début de vie pour le moins complexe. Elevée dans cette plantation jusqu’à l’âge de onze ans, Fortunée acquiert un caractère typiquement créole, mêlant douce langueur et vivacité piquante, qui la marquera profondément et influencera sa personnalité et son parcours.

En 1788, Fortunée Hamelin, alors adolescente, quitte Saint-Domingue pour la France, poussée par son père désireux de la marier « avantageusement », c’est-à-dire à un homme bien né et riche. Après une escale à Bordeaux et un séjour à Cauterets, elle arrive donc à Paris. Rapidement inscrite dans une pension religieuse, Fortunée y apprend les bases de l’éducation aristocratique, mais se sent étouffée, aspirant à plus de liberté. Contrainte par les instructions paternelles, sa mère la destine à un mariage rapide avec Romain Hamelin. Ce mariage, loin d’être une union d’amour, offre toutefois à Fortunée une échappatoire à la tutelle maternelle, et marquera le début d’un nouveau chapitre dans la vie de la jeune créole.

A cette époque, le mari de Fortunée la décrit en ces termes : « La jeune Fortunée était une petite créature toute particulière, avec une grosse tête et une taille carrée, elle était pétrie de grâces. Brune, jusqu’au point de faire douter de la pureté de son sang, les plus beaux cheveux du monde, une grande bouche mais bien fraîche et toujours en train de rire. Avec tout cela, brise-raison, ignorante, spirituelle, douée de dispositions singulières pour la danse et la musique ». 

« Le plus grand polisson de France »

Fortunée Hamelin aura résolument mérité son surnom de « plus grand polisson de France »… L’arrivée de Fortunée à Paris en 1790 coïncide avec une période de grands bouleversements sociaux et politiques. Dans le détail, la chute de Robespierre en 1794 marque la fin de la Terreur et le début d’une ère de libération où la jeunesse parisienne, traumatisée par la guillotine, se jette dans les bras des plaisirs longtemps refusés. C’est dans ce contexte que Fortunée, avec sa grâce exotique, devient une des Merveilleuses du Directoire, se distinguant par son style audacieux et extravagant.

Elle s’implique dans la vie parisienne avec un entrain particulier, adoptant les modes les plus folles et les plus audacieuses de l’époque. Les Merveilleuses, dont elle est une figure de proue, sont connues pour leurs tenues légères et transparentes, inspirées de l’antiquité grecque et romaine, marquant ainsi une rupture totale avec les modes austères de la Révolution. Fortunée, avec ses robes transparentes et ses tenues à l’antique, devient rapidement un symbole de cette nouvelle liberté.

Sa beauté et son charme ne passent pas inaperçus et lui valent l’admiration, mais aussi la controverse. En 1797, lors d’une promenade sur les Champs-Elysées, elle crée le scandale en apparaissant presque nue, vêtue d’une simple gaze. L’incident, largement relayé par la presse, marque les esprits et contribue à sa réputation de femme libre et audacieuse. Cette liberté s’exprime également dans sa vie privée. Mariée jeune à Romain Hamelin, un riche fournisseur général aux armées, elle n’est guère entravée par les conventions matrimoniales. Elle fréquente les salons les plus en vogue, se lie d’amitié avec des personnalités influentes comme Joséphine de Beauharnais et s’entoure d’amants célèbres, parmi lesquels Chateaubriand.

En 1798, Fortunée Hamelin accueille sa fille Léontine, un événement qui marque un tournant dans sa vie. Décidée à s’affirmer au-delà de son rôle de mère et d’épouse, encouragée par son amie Joséphine de Beauharnais, elle entame une période d’émancipation personnelle ponctuée de liaisons amoureuses. Sa beauté exotique, décrite comme une élégance naturelle mêlée à un charme sensuel, la rend incontournable dans les cercles parisiens. Cependant, cette liberté et cette allure distinctive suscitent aussi des réactions mitigées, sur fond de préjugés raciaux. Mais on la qualifiait volontiers de « Jolie laide », et sa liberté sexuelle malgré son statut de femme mariée lui vaut le non moins flatteur surnom de « plus grand polisson de France ». Sans surprise, cela mènera à la séparation du couple en 1804.

Le retour à Paris 

Après deux ans d’exil, Fortuné Hamelin est de retour à Paris en 1817, et reprend sa place au cœur de la société parisienne. Dans son hôtel particulier de la rue Blanche, elle organise des soirées où se croisent des personnalités de tous bords politiques, de fervents royalistes aux nostalgiques de l’Empire. Son salon devient un lieu d’échanges et d’intrigues, où elle se distingue par son esprit et sa capacité à obtenir des informations précieuses. Tout en restant fidèle à ses convictions bonapartistes, elle entame une collaboration discrète avec la police royale, fournissant des renseignements sous le pseudonyme de « Madame Deschamps ». Sa position unique lui permet alors de jouer un rôle d’informateur tout en préservant ses relations et intérêts personnels.

Dès 1817 donc, sous le voile de l’anonymat conféré par son pseudonyme « Madame Deschamps », elle s’inscrit dans les registres du ministre Decazes, un fidèle de Louis XVIII. Sa plume, au service de la police, scelle des rapports dont elle est l’auteure discrète. Avec une habileté certaine pour la négociation, elle voit sa rémunération annuelle croître de 12 000 à 50 000 francs. Cela dit, son rôle reste davantage centré sur l’aide apportée à ses proches plutôt que sur la nuisance aux adversaires du régime. Même sous le règne de Charles X, elle continue de fournir des comptes rendus, bien que son influence semble s’effriter progressivement après 1827.

Parallèlement à ses activités d’espionnage, Fortunée Hamelin profite de sa fortune retrouvée pour s’installer dans l’ancienne Folie-Richelieu, située dans l’actuelle rue de Clichy, où elle tient un salon réputé, une partie de ce parc deviendra le Théâtre de Paris. En 1823, son empire immobilier s’étend avec l’acquisition de terrains adjacents, incluant l’ancienne folie Beaujon près de l’Arc de triomphe. Grâce à un jeu de spéculations immobilières astucieuses, elle orchestre avec succès le développement du quartier de la rue Balzac, qui, en hommage à son influence, est baptisé à l’époque « quartier de l’Avenue Fortunée ».

C’est à cette période qu’elle renoue avec Chateaubriand, alors ministre des Affaires étrangères. Sous son impulsion, le salon de Madame Hamelin se transforme en un lieu de jeu prisé. Conservant son charme et son esprit vif, elle captive Chateaubriand, surnommé l’Enchanteur, et devient l’une de ses « Madames », terme utilisé par l’épouse de Chateaubriand pour désigner ses maîtresses. Cela dit, malgré les services rendus, Chateaubriand manifeste de l’ingratitude en omettant de mentionner Fortunée dans ses mémoires, influencé par Juliette Récamier, avec qui il entretient une liaison.

La rivalité entre Fortunée Hamelin et Juliette Récamier s’envenime à la suite d’un incident lors d’un bal masqué en 1805. La querelle entre les deux femmes se poursuit, avec Juliette Récamier trouvant une occasion de revanche lorsque Chateaubriand rédige ses Mémoires. Saisissant l’opportunité, elle efface systématiquement toute mention de Fortunée des manuscrits, laissant Chateaubriand indifférent à cette révision. En dehors de ces intrigues, la vie personnelle de Fortunée Hamelin est marquée par des événements familiaux significatifs. En 1809, après avoir perdu la garde de son fils, elle marie sa fille Léontine à Auguste Emmanuel de Varambon, marquis et jeune veuf. Ce mariage, union d’amour, permet à Léontine de créer un lien avec la fille issue du premier mariage de son époux. Toutefois, malgré les apparences agréables, Léontine nourrit une rancœur envers sa mère. Edouard Hamelin, son fils, entreprend un voyage aux Etats-Unis avant de s’installer à l’île de La Réunion, où il se marie en 1822. Malgré l’éloignement, les relations entre Edouard et sa mère sont moins conflictuelles que celles avec sa sœur, mais Fortunée se plaint régulièrement des négligences de son fils dans ses correspondances.

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